Soudan : comprendre le conflit qui déchire le pays
Le 26 octobre 2025, El Fasher, plus grande ville de l’ouest du Soudan, est tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR). Les civils, contraints à fuir, décrivent des exactions terribles : viols, pillages, meurtres… Qu'en est t-il ?
La presse internationale, inquiétée par les exactions
Le 26 octobre 2025, El Fasher, plus grande ville de l’ouest du Soudan, est tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR). Les civils, contraints à fuir, décrivent des exactions terribles : viols, pillages, meurtres… La conquête de cette ville stratégique est un tournant majeur dans le conflit et donne un avantage considérable aux FSR. Pourtant, il est parfois difficile de saisir tous les enjeux de la guerre qui ravage ce grand pays d’Afrique de l’est.
La ville d’El Fasher, dernier bastion de l’armée soudanaise au Darfour, est un point hautement stratégique. Au Soudan, deux groupes armés s’affrontent : d’un côté Abdel Fattah al-Burhan chef de l’armée régulière et de l’autre, le général Hemedti, chef des Forces de soutien rapide (FSR), un groupe paramilitaire.
La ville d’El Fasher était assiégée par les FSR depuis près de 18 mois. Sa prise ravive d’importantes craintes concernant la possible partition du Soudan, car les FSR renforcent progressivement leur contrôle sur l’ouest du pays. De plus, la chute d’El Fasher a attiré l’attention de la presse internationale en raison des massacres perpétrés par les FSR qui ont pris les civils pour cibles.
Deux chefs pour un pays
Pour comprendre la formation de ces deux groupes armés, il faut remonter à la chute du dictateur Omar el-Béchir en 2019. Burhan, chef de l’armée, et Hemedti, chef d’un groupe paramilitaire, s’étaient alors alliés pour renverser le dirigeantau pouvoir depuis 30 ans.
Anciennement piliers de son système, les deux hommes forts se retrouvent rapidement candidats à sa succession. Mais il ne peut y avoir deux chefs, et entre 2021 et 2023, des divergences majeures émergent. L’armée de Burhan souhaite intégrer les FSR au sein des forces régulières, tandis que Hemedti défend leur maintien comme force autonome.D’autres points de friction apparaissent, notamment concernant l’accès aux ressources et les alliances étrangères.L’affrontement éclate en avril 2023, marquant la fin de l’alliance entre les deux anciens « frères d’armes ».
Un jeu régional plus large
Ce conflit dépasse toutefois la rivalité entre deux généraux : il s’inscrit dans un jeu régional plus large. Les puissances étrangères soutiennent l’un ou l’autre camp selon leurs intérêts. D’un côté, les rivalités du Moyen-Orient se projettent au Soudan ; de l’autre, certains pays du Golfe, confrontés au manque de terres cultivables, investissent dans une logique de land grabbing pour sécuriser leur approvisionnement alimentaire.
Ainsi, la guerre au Soudan est aussi devenue un terrain d’affrontement indirect entre plusieurs puissances étrangères.
Une partition (encore) ?
Depuis la prise d’El-Fasher, les FSR contrôlent de plus en plus de territoires. Leurs offensives font craindre une nouvelle partition du pays car les groupes armés ont chacun crées leurpropre gouvernement, et les forces s’équilibrent, entre offensives et replis.
Pour comprendre ce risque de division, il faut remonter à la première partition du Soudan, en 2011. Le pays était marqué depuis longtemps par de profondes tensions entre le Nord, majoritairement musulman et arabo-soudanais, et le Sud, majoritairement subsaharien et chrétien. Deux longues guerres civiles (1955 - 1972 et 1983 - 2005) aboutissent à l’accord de paix de 2005, prévoyant un referendum d’autodétermination pour le sud. En 2011, 98,8 % des votants choisissent l’indépendance : le Soudan du Sud devient un État souverain en juillet 2011. Ainsi, cette partition futl’aboutissement de plusieurs décennies de conflits extrêmement meurtriers pour la population soudanaise.
Aujourd’hui, un risque de partition est-ouest apparait, l’est étant contrôlé par l’armée et l’ouest par les FSR. Certains spécialistes estiment que cette fragmentation pourrait aller encore plus loin, d’autres milices cherchant elles aussi à s’emparer d’une partie du pays.
Le Soudan est donc un pays profondément divisé et ravagé par l’un des conflits les plus meurtriers au monde : 13 millions de déplacés, 4 millions de réfugiés… et aucune amélioration en vue malgré quelques initiatives américaines, saoudiennes et égyptiennes. La crise humanitaire y devient chaque jour plus grave, dans un État qui semble au bord de l’implosion, une fois encore.
ZOOM : LAND GRABBING
En français, « accaparement des terres », désigne l’acquisition des terres étrangères par un pays, principalement à des fins agricoles. Ce phénomène existe depuis le XXème siècle mais a pris de l’ampleur depuis la crise alimentaire de 2008. La moitié de ces terres se situe en Afrique et a été achetée par des pays qui disposent de peu ressources agricoles mais de capitaux importants : Qatar, Arabie Saoudite, Chine…
Anna Donnio et Josephine Lescop
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